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MIROIR, MON BEAU MIROIR

Élisabeth Daynès, Femme au miroir, 2019

© Constellations, vues de l’exposition « Find yourself », Loo and Lou Gallery, 2020

La Femme au miroir d’Élisabeth Daynès fait parfaitement illusion. Sculpture modelée des mains de l’artiste reproduisant les traits d’une femme bien réelle, il serait presque dur de distinguer la vraie de la fausse, la reproduction de l’originale, le reflet de la réalité. Laquelle est la vraie ? La silhouette féminine représentée dans sa chair, vêtue de lingerie et de bottines à talons ? Son reflet dans le miroir et la perception qu’elle a d’elle-même ? Ou la perception que nous, spectateurs, avons d’elle en train de se regarder dans un miroir ?

La femme au miroir est un thème récurrent dans l’histoire de l’art et un sujet maintes fois représenté par les artistes – la plupart artistes masculins – car il offre le moyen de détourner, de pénétrer l’intimité des femmes et de les représenter dévêtues, idéalisées, offertes au regard du spectateur – supposé là encore masculin. Le miroir n’est alors que le reflet du regard porté sur le corps féminin, le reflet du fantasme sur la réalité, de l’art sur le monde, et une façon de laisser libre cours au voyeurisme, pire de le justifier sous prétexte que le miroir témoignerait du narcissisme condamnable des femmes. La femme est souvent alors faussement surprise dans son intimité pour le plus grand plaisir du spectateur.

Cette fois la femme au miroir est une femme bien réelle. Elle est seule, sans pose, en proie à une scène devenue banale, et quotidienne. C’est une femme incarnée, représentée jusqu’à ses grains de beauté, dotée de vrais cheveux et à la carnation de la peau irrégulière qui lui donne un air de familiarité. Impossible de croiser son regard, elle est en introspection avec elle-même. Elle est seule et pourtant elle est apprêtée, vêtue de lingerie et de bottines à talons. Pourquoi ? Est-elle réellement seule avec elle-même ? Ou toujours déjà en représentation ? Ici, il semble bien y avoir plus de protagonistes qu’il n’y paraît.

Non seulement regardée et scrutée par elle-même – et par l’hypothétique personne qu’elle vient ou s’apprête à voir – elle est aussi regardée et scrutée par le visiteur qui la surprend dans sa contemplation. Il y a bel est bien notre regard qui s’ajoute. Celui du monde extérieur, de la norme sociale qui agit à chaque instant. Plus que la petite partie de son corps qu’elle peut elle-même voir et apprécier dans le miroir de taille réduite – son visage, le siège de sa pensée et de ses émotions - le spectateur, lui, voit son corps en entier. Il surplombe la scène de l'extérieur. Il juge.

Le miroir permet de se mirer, de regarder attentivement, de contempler narcissiquement, mais aussi d’évaluer, de critiquer, de scruter. La femme se livre-t-elle à la contemplation ? S’interroge-t-elle sur son identité ? Remet-elle en question son image ? Celle que la société porte sur elle jusque dans son intimité ?

Le miroir permet d’exacerber une logique à l’œuvre quotidiennement : la femme existe encore trop souvent par et pour le regard d’une personne extérieure. A tel point que le miroir n’est pas le reflet de la réalité mais davantage le reflet du regard des autres, toujours déjà en train de juger. Se reconnaître – se « re-connaître » dans ses traits dans le miroir et être « reconnue », valorisée – est alors un jeu difficile. Après tout, combien de femmes ne se reconnaissent pas dans un miroir ?


Élisabeth Daynès, Femme au miroir, 2019

Silicone, cheveux naturels, jesmonite

Courtesy de l’artiste

Visible dans l’exposition « Find yourself » présentée à Loo and Lou Gallery jusqu’au 24 juillet 2020

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