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AU FIL DU TEMPS

Minia Biabiany, Musa, 2020

Vues de l'exposition "Musa Nuit", La Verrière, Bruxelles, 2020

L’œuvre vidéo de Mini Biabiany porte le nom des bananiers, « musa ». Leurs fleurs, leurs feuilles, leurs fruits, portent en eux les marques de l’histoire, du colonialisme et de l’exploitation des ressources de la Guadeloupe et des Caraïbes.

Le corps des femmes aussi.

Tantôt objet de science observable dans son environnement naturel, objet de culture trouvant sa place dans la cuisine familiale, ou objet de sensualité et de contemplation appelant au toucher, la fleur de bananier nous est montrée sous ses différents états. Depuis le bulbe, les feuilles jusqu’à l’ouverture de ses pétales et l’apparition du cœur et du fruit, la fleur de bananier et l’infinité de ses cycles sont à l’image du pouvoir de création extraordinaire du corps des femmes. Elle est l’incarnation de leurs parties intimes et génitales.

Et pourtant, elle est lentement, sûrement, insidieusement, enfermée, emprisonnée et contrainte par le fil qui ne cesse de se resserrer autour d’elle sous le mouvement de l’artiste. Le fil, le poids de l’histoire, a cloitré, bâillonné, mutilé les fleurs de bananiers comme la sexualité des femmes antillaises. L’interdit, les mots, le tabou, ont achevé de faire peser sur la partie de leur corps la plus intime des logiques de pouvoir et d’oppression extérieures à elles-mêmes dont les marques sont encore perceptibles aujourd’hui.

Le tressage, présent tout au long de la vidéo et motif récurrent de l’œuvre de Minia Biabiany, peut alors être la marque de l'exploitation des populations et des ressources mais aussi celle d’une pratique culturelle originelle et le symbole de la filiation qui perdure et se transmet à travers les âges. La filiation transmet les traumas de génération en génération mais aussi la force et l’énergie de se délivrer sans oublier. A l’image des fleurs dont la vie est éphémère mais la perpétuation infinie, les femmes portent en elles les lignes de la transmission présentes sur chacun de leurs pétales.

« The flowers give memories back ».

Les mots créoles et anglais posés par la voix de l’artiste à mesure que les plans se succèdent forment un souffle, une continuité, une force intime profonde qui invite les femmes à se saisir de leur corps, de leur plaisir, de leur sensualité, du sang de leurs menstruations, de ce qui constitue leur intimité même. Progressivement, les pétales de la fleur, autrefois coupés et mutilés, s’ouvrent. Pour laisser apparaître leur cœur, les strates les plus profonds de leur identité.

Pour se laisser aller à soi.

Pour s’écouter et s’approprier sans honte l’intimité de son corps.



Minia Biabiany, Musa, 2020

Vidéo HD, son, 13 min

Courtesy de l’artiste

Visible dans l’exposition "Musa Nuit" présentée à La Verrière, Fondation d’entreprise Hermès, jusqu’au 5 septembre 2020


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