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"SéSAME, OUVRE-TOI"

Mathilde Lestiboudois, Ascenseur, 2019

© Mathilde Lestiboudois

Ce qui saute aux yeux d’abord, c’est l’aspect minimal de l’œuvre qui semble répondre à une logique purement géométrique et rectiligne. Un élément familier et quotidien y est représenté, l’abord des portes d’un ascenseur. Un mouvement visuel nous y conduit indéniablement. L’ascenseur, c’est le champ des possibles, dans l’imaginaire collectif un espace de rencontre fortuit, la promesse de la modernité. Les lignes de fuite courent vers lui. Légèrement surélevé ou à hauteur d’yeux, il est dans notre perspective. Les lignes nous invitent à franchir le pas. Mais les portes restent fermées, glacées. Au lieu de l’ouvrir, elles coupent la perspective. On ne sait pas ce qu’il y a derrière mais on sait que l’on ne peut pas y accéder.

L’œuvre présente un univers déshumanisé, austère. Les couleurs sont froides. Les lignes sont cassantes, géométriques, imperturbables. Il n’y a aucun élément extérieur pour l’indiquer mais nous sommes clairement dans un immeuble à étages, un gratte-ciel, un building froid, fonctionnaliste. Probablement un immeuble de travail et de bureaux aseptisés. Nous le reconnaissons. Peut-être parce qu’ils sont tous identiques, ces grands buildings et bureaux qui lissent la vie de par des procédures strictes et rectilignes à l’image des lignes du sol qui nous indiquent la marche à suivre.

Rien ne vient perturber l’aspect géométrique de cet univers. Excepté un élément. Un élément au sol, horizontal. Un ruissellement, un mouvement organique, vient rompre la régularité et la verticalité des lignes. Est-ce que ce sont les lignes apparentes du bois ? Le ruissellement d’un fleuve ? Le tracé d’un chemin, un sentier ? Un vaisseau sanguin ou une coulée de sang ? Nous n’avons pas d’indice. La couleur n’apporte pas d’élément de réponse et se fond dans la couleur du sol. Mais il ne fait aucun doute que cet élément vient rompre la linéarité de l’œuvre et de l’univers représenté. Il apporte de l’intrigue, de l’aléa, du mouvement, de la vie. Son mouvement est recouvert par les lignes du pavement du sol qui tentent de prendre le dessus mais ne l’empêchent pas de continuer sa course. Ce qui intrigue alors, ce n’est pas tant ce qu’il y a derrière les portes de l’ascenseur et où elles peuvent nous mener, mais bien où commence et s’arrête ce ruissellement.

Nous ne percevons ni son commencent ni sa fin. Ils sont hors champs. A définir. L’interprétation est laissée ouverte. Est-ce une manière de montrer la violence et la froideur d’un monde construit sur la déshumanisation de nos buildings alors que le cours de la vie est par définition libre et imprévisible ? Une manière de montrer que les portes nous y sont fermées là où nous sommes pourtant sommés de nous épanouir ?

L’œuvre permet en tout cas de perturber l’ordre apparent des choses, de susciter l’interrogation et de répandre ce ruissellement invisible partout où la vie semble s’effacer d’elle-même.


Mathilde Lestiboudois, Ascenseur, 2019

Huile sur toile, 145 x 115 cm

Collection agnès b., 2020, La Fab., Paris

© Mathilde Lestiboudois

Vue dans la Galerie du Jour, collection agnes b., La Fab., depuis le 2 février 2020



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