Lisa Sartorio, X Puissance X, Série 2/ motif 3 abattoir, 2012-2014
© Constellations, vue de l’accrochage des collections permanentes « Joyeuses Frictions » du Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS), 2020
Regardez, regardez, d’un peu plus près. Encore plus près. Ce que l’on croit être un motif décoratif coloré, comme un lé de tapisserie, est en fait la répétition d’une photographie bien réelle. D’une scène bien plus livide et pourtant quotidienne : une scène d’abattoir porcin. On est alors animé par deux mouvements face à l’œuvre : d’abord un mouvement d’attrait pour la couleur et la régularité du motif empruntant à l’esthétique des tissus ethniques, puis un mouvement de répulsion à la découverte du motif représenté. Deux attitudes déstabilisantes et constamment à l’œuvre dans nos sociétés : la normalisation d’images violentes et le refus de voir pour continuer.
A première vue imperceptible, le motif est-il un mirage, le reflet de ce que l’on ne veut pas voir ? De ce à quoi on ne peut pas croire au risque de redéfinir totalement ses habitudes et avec son confort matériel. L’œuvre rend visibles ces choses que l’on ne voit pas. Que l’on sait, que l’on devine, mais qu’on persiste à maintenir cachées.
A l’image de nos choix, il faut faire l’effort de s’arrêter, de regarder de plus près pour comprendre et prendre le risque d’en être transformés. Ici, l’œuvre renvoie à l’alimentation et plus largement à notre façon de produire et de consommer. Mangerais-je de la viande si j’étais moi-même témoin de la façon dont sont traités, conditionnés, tués les animaux ? Mangerais-je de la viande si je devais moi-même tuer l’animal ? La réponse est probablement non.
Pourtant c’est toute une machine, déshumanisée, qui est à l’œuvre pour faire ce que je refuse de faire moi-même. Ici, ce n’est pas le geste mécanique et à la chaîne qui est reproduit à l’infini conformément au modèle économique productiviste mais la représentation de cette chaîne elle-même qui est reproduite par la photographie. Comme à la chaîne, le motif est reproduit à l’infini dans l’œuvre, créant une illusion d’optique et une impression de mouvement. L’œuvre joue avec nos perceptions pour mieux les interroger et en montrer l’ironie et l’hypocrisie sous-jacentes. Suis-je hypnotisée par l’œuvre comme par le système pour continuer à consommer et à maintenir le modèle de production ? Ou suis-je en train de m’hypnotiser moi-même en choisissant de fermer les yeux et en continuant à vivre et consommer comme si je n’avais pas vu ?
Ici, ce n’est pas un effet d’optique. Ces scènes se multiplient bien, s’accélèrent, s’accroissent. De jour en jour. L’œuvre, comme toutes celles de la série de Lisa Startorio sont là pour nous le rappeler, pour jouer avec nos sens et peut-être pour nous faire ouvrir les yeux, pour y voir plus clair.
Lisa Sartorio, X Puissance X, Série 2/ motif abattoir, 2012 - 2014
Tirage encre pigmentaire sur papier EPSON
Collection du Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS)
Don de Philippe Bronn (ancienne collection Gigi et Marcel Burg) en 2018
Visible dans l’accrochage des collections permanentes « Joyeuses Frictions » du Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS)
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