CAROL BÎMES, LA SAPINE, 2019
© Constellations, vue de l'agora de la MÉCA, Bordeaux, 2019
Surprise, interrogation, curiosité ! J’ai jeté un œil pour la première fois à l’œuvre de Carol Bîmes, La Sapine. Un œil puis un regard puis la contemplation. Elle est comme posée là, à nu. Est-ce bien ce que je vois ? Après la perplexité, l’enchantement. Oui, cela ne fait aucun doute. Nul besoin de cartel pour m’expliciter le sujet de l’œuvre et ce qui saute aux yeux. Carol Bîmes a fait de branches de sapin, de guirlandes et de boules de noël, un sexe de femme clignotant. C’est dire que l’on n’est pas accoutumé à en voir d’aussi près, en aussi gros, dans l’espace public. Encore moins étincelant et clignotant comme celui-ci, comme s’il s’écriait « regardez-moi ! ». Celui-là, je peux le contempler, je peux en faire le tour, peut-être même le toucher, comme une invitation à le célébrer.
Une fois passé l’enthousiasme qu’a produit l’œuvre sur moi, comme une enfant devant un cadeau de noël, ce qui m’a d’abord frappée, c’est le rapprochement entre le sexe féminin est un emblème de la consommation, le sapin de noël. Comme un cadeau de noël, il est là. Il clignote, il reluit, il est clairement artificialisé, comme à disposition. Le corps des femmes, enguirlandé de telle manière qu’il plaît à l’œil, qu’il est attirant, qu’il suscite la convoitise, s’offre ainsi.
Entre éléments végétaux et objets artificiel, plastique, où résident la vérité et le désir profond du sexe de la femme ? Il est l’élément le plus intime, le plus personnel et inaliénable et pourtant il est aussi celui sur lequel le plus d’avis, de normes et de contraintes pèsent, sont partagés et s’expriment, émergeant de regards extérieurs à lui-même. Qui décide de mon corps ? Tantôt refoulé, considéré comme « sale » ou « impur », tantôt exhibé parfaitement épilé, les femmes ont longtemps été dépossédées de leur propre corps. Étrange paradoxe. La sexualisation des corps apparaît parfois comme le symbole de la libération des corps et des désirs. Mais des désirs de qui ? Camille Froidevaux-Metterie dans son ouvrage Le corps des femmes, La bataille de l’intime (2018), perçoit un nouveau tournant et terrain de la conquête féministe : ce qui se joue, c’est la « bataille de l’intime ». De plus en plus de femmes, quand elles en ressentent le besoin, cessent de taire ce qui relève de leur intimité et des sujets qui jusque-là leur échappaient encore. Elles prennent la parole, disent leurs désirs, et s’emparent des sujets de la vie de leur propre corps pour les mettre sur la place publique : menstruations, poils, maternité, appareil génital féminin, ménopause, procréation, deviennent des sujets de société mais avant tout la revendication que mon corps m’appartient, qu’il y a autant de sexes et de choix que d'êtres humains.
L’œuvre de Carol Bîmes rend visible cette revendication. Le sexe est donné, il est là. Non pas posée sur un socle ou protégée par une mise à distance, l’œuvre invite au contraire à la célébration et à l'appropriation. Le sexe féminin n’est pas laissé en proie aux regards vicieux et aux jugements mais érigé dans sa vérité comme un totem. Les guirlandes clignotantes sont là pour fêter ce moment où le sexe féminin, dans sa vérité, s’impose et où la revendication du désir et de la jouissance du corps féminin passe de l’invisible au visible. Le sexe est là, vu, célébré, écouté. Il n’est pas figé par la représentation, il est là en chair et en os, il vit, il bouge, il clignote. Quand bien même certains seront d’abord choqués et détourneront le regard, la signification est bien là. Le sujet ne peut pas être reporté plus longtemps.
Je clignote, je suis là, tu m’as vu, c’est foutu.
© Constellations, vue de l'agora de la MÉCA, Bordeaux, 2019
Carol Bîmes, La Sapine, installation, 2019
Production Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA
Visible de décembre 2019 à janvier 2020 à la MÉCA, Bordeaux
Camille Froidevaux-Metterie, Le corps des femmes. La bataille de l’intime, Philosophie Magazine Editeur, 2018
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