Karine Rougier, Modèles vivants, 2020
Cette fois le modèle est bien vivant ! Tandis que le buste de femme contorsionnée au sol est figé dans la pierre, sans tête, sans visage, la figure féminine centrale semble bien présente, elle, décontractée.
De nombreux indices autorisent cependant la comparaison de cette femme aux modèles classiques d’ores et déjà figés dans l’histoire de l’art. Au premier abord androgyne, elle dispose des attributs traditionnellement attribués au modèle féminin : la nudité, une poitrine, du maquillage, des bijoux tombants. Et surtout, elle pose. La sculpture antique gisant au sol, la représentation des personnages de profil évoquant l’Egypte antique, la présence du linceul blanc associé à la figure christique dans la peinture religieuse, tout renvoie à l’histoire du modèle à travers les siècles et peut être clé d’interprétation. Quelle sera l’histoire de notre modèle ? Aura-t-elle une fin tragique ? La table sur laquelle elle s’allonge peut à la fois être un présentoir, une table de dissection ou un monument funéraire.
L'expression de modèle est sereine. Elle semble être en pleine maîtrise d’elle-même et pourtant. Son corps lui échappe. Le bas de ses jambes, ses pieds, ne sont pas représentés. Sa silhouette est comme aspirée par la figure de chair monstrueuse qui se dirige inexorablement vers elle. Que va-t-il se passer ?
Le doute s’installe. Le personnage qui semble maîtriser la situation n’est en fait pas celle que l’on croit mais plutôt cette femme en retrait qui lui fait face. Deux champs s’opposent alors. Les deux figures de droite sont reliées entre elles par la direction de leur regard, le bleu de leurs yeux et le rouge de leurs lèvres et opposent résistance au modèle de gauche. Que vont-elles faire ?
Les tons rose et ocre et les motifs suggestifs de la robe de la deuxième femme en forme de vulves nous indiquent qu’il va être question de chair. Un détail supplémentaire fait basculer la narration. La femme à la robe a le visage peint en vert. Comme un masque de théâtre, cet élément redéfinit les apparences et nous projette dans un monde de conte inquiétant et monstrueux. La représentation bascule dans le monde de l’imaginaire, le réel se fige en un fond chromatique uni où toutes les interprétations sont permises.
La mythologie et les contes recèlent de figures maléfiques ayant le pouvoir, de la même façon que l’artiste, de pétrifier et figer les figures dans une représentation, en particulier les jeunes filles. Le modèle que nous propose l’artiste sortira-t-il de cette scène vraiment « vivant » ? Et si le buste de femme gisant au sol n’était autre qu’une mise en garde, une alerte, la trace d’une précédente victime pétrifiée dans la pierre.
Karine Rougier, Modèles vivants, 2020
Gouache et acrylique sur papier
33 x 43cm
© Jean-Christophe Lett
Présentée au sein de l’exposition « ELLES dessinent », Musée de Vence / Fondation Emile Hugues disponible en ligne jusqu’au 9 mai 2021
© Jean-Christophe Lett
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