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IL éTAIT UNE FOIS

Irma Blank, Radical Writings, Lonesome story, pagina destra, D-2, 1986

© Vues d’exposition « BLANK » au CAPC, Photo 1 : Frédéric Deval, Mairie de Bordeaux, Photos 2 : C. Favero

De loin, des mots semblent former des lignes, formant elles-mêmes des pages, prêtes à former un livre. De près, nous sommes face à des lignes de couleur.

A la manière d’une écriture structurée dont les alignements et la mise en page sont savamment orchestrées, les œuvres d’Irma Blank promettent un récit. Méthodiquement, minutieusement, l’artiste a apposé des lignes de couleurs. Comme dotées d’enluminures qui viennent les décorer, les pages revêtent ainsi un intérêt esthétique, coloré. Exception faite qu’ici, il n’y pas de mots.

Aucun mot n’est visible, lisible, détachable du tout que forment les lignes et leur couleur, le rose. Peu importe son contenu - ce à quoi les mots renvoient - c’est bien la trace, la marque, la qualité esthétique de la couleur qui fait œuvre.

L’écriture est bien une façon de s’ouvrir sur le monde - de le nommer, de l’imaginer – mais elle peut aussi le brouiller et représenter un écran entre le monde et nos sensations. Ici l’écriture est avant tout une façon de s’ouvrir à soi et de se livrer à l’introspection. Le récit n’est pas sur le papier, il est à l’intérieur, à ressentir. Le titre de l’œuvre « Lonesome story » ("histoire de solitude") nous interroge alors : le récit est-il à propos de la solitude d’une personne extérieure à nous-mêmes ? Ou renvoie-t-il à notre propre solitude face à l’œuvre ? Quelques mots suffisent et les lignes de couleur deviennent récit.

L’écriture, plus que vectrice de sens, est avant tout une trace. Son contenu, toujours effacé ou déjà absent dans les œuvres d’Irma Blank, n’importe pas. C’est bien l’acte d’écrire, de tracer des lignes qui importe, la forme plus que le fond qui véhicule le plus de signes. Celui de l’appartenance à l’humanité – produire des signes est universellement partagé à l’échelle humaine – et de l’appartenance à une culture – écrire en ligne de gauche à droite sur un papier au format normé est un acte purement culturel et hérité. En annihilant le contenu du récit, l’artiste nous met face à l’universalité de la pratique de l’écriture et face à notre propre récit intérieur. L’écriture, et non sa signification, est universelle. Elle est magique, poétique.

Impénétrables, comme dans les premières années de nos vies, les mots nous sont parfois inconnus et interdits. Mais les « tâches », les couleurs, ont le pouvoir de raconter des histoires. C’est précisément le cas à travers les yeux de l’enfant Simone de Beauvoir qui relate cet épisode dans Mémoires d’une jeune fille rangée (1958) :

« Je m’enchantais en néophyte de la sorcellerie qui transmute les signes imprimés en récit ; le désir me vint d’inverser cette magie. Assise devant une petite table, je décalquai sur le papier des phrases qui serpentaient dans ma tête : la feuille blanche se couvrait de tâches violettes qui racontaient une histoire ».


Irma Blank, Radical Writings, Lonesome story, pagina destra, D-2, 1986

Acrylique sur papier parchemin, 5 pages, 35 x 24,5 cm chacune

Courtesy l’artiste & P420, Bologne

Visible dans l’exposition « Irma Blank, BLANK » présentée au CAPC de Bordeaux jusqu’au 31 octobre 2020

Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Editions Gallimard, 1958


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