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Femmage botanique, 2022

Texte d'exposition de Camille Chastang


À la croisée des différentes techniques qui composent son univers, Camille Chastang est avant tout dessinatrice. À partir des lignes, elle crée un espace visuel propre – alliant sérigraphie, céramique, textile – emprunt des motifs botaniques qu’elle puise dans le travail des artistes femmes des siècles passés.


Pour l’installation Femmage botanique (2022), l’artiste redessine les codes de représentation et déplace la façon dont notre regard a été formé pour regarder la fleur et souvent la réduire. L’enjeu est de déconstruire la hiérarchie des techniques (la peinture vaudrait davantage que le croquis ?), des disciplines (la science l’emporterait sur l’esthétique ?), des pratiques (les arts plastiques vaudraient davantage que les arts dits décoratifs ?) et la hiérarchie des formes (la rigidité l’emporterait sur la souplesse ?) pour déconstruire la hiérarchie des genres.


Au cœur de l’Espace culturel Alain-Poher, l’univers botanique de l’artiste se déploie sous la verrière comme dans une serre : il est foisonnant, humide, chaud, presqu’olfactif. Les dessins de l’artiste ondulent à l’interstice des patios végétalisés qui les accueillent et les protègent en même temps qu’ils les montrent. À la fluidité du textile, à l’effusion de l’encre et à l’humidité de l’aquarelle répond le foisonnement du chardon, du lys marin et de la passiflore filamenteuse représentés par l’artiste Marie Delany (1700 – 1788) auprès de laquelle Camille Chastang a puisé son inspiration.


Le dessin est souple, mouillé, fluide. La fleur représentée par l’artiste n’entend pas revêtir le caractère précis et académique de la science mais bien la sensualité et la spontanéité de la nature et de la création elles-mêmes. L’apparente régularité du motif est en réalité imparfaite, non-rectiligne Elle est le reflet de la générosité et de l’unicité de chaque geste émancipateur de l’artiste. L’encre fuse sur le textile au-delà des contours, au rythme où les fleurs germent et éclosent pour développer toute leur présence et leur puissance d’évocation.


L’éphémère de la fleur et la transparence du tissu deviennent bientôt la permanence de la mémoire : celle des artistes, de leurs œuvres, des archives retracées. L’installation forme en effet un espace de dialogue ouvert et en perpétuelle expansion avec les femmes botanistes du passé. Puisqu’en art, il s’agit de faire une place, de tisser des liens, de laisser des traces, l’enjeu est de dialoguer avec la lignée des artistes dont le travail et l’unicité demeurent à ce jour dans la sphère de l’inconnu, de l’informel, de l’intime.


Comment faire sortir les croquis de leurs carnets et leur donner toute l’ampleur qu’ils méritent ? Camille Chastang les augmente - les fait doubler, tripler, quadrupler de volume - et leur dévoue une place et une taille de choix au cœur de ses installations. À tel point que petits et grands formats se mêlent. Les dessins d’archives et les nouvelles créations se soutiennent jusqu’à se fondre et à devenir interdépendantes. Ils acquièrent ensemble une forme de pérennité reposante en se figeant entremêlés sur les murs de l’Espace culturel Alain-Poher au sein d’une fresque murale réalisée in situ. Le geste, presque ancestral, de l’artiste inscrit les œuvres dans une lignée qui les dépasse et marque durablement l’espace dans un travail voué à demeurer en perpétuelle construction.


On est ainsi plongé dans l’installation de Camille Chastang comme dans un jardin semé, formé et apprivoisé par les pas des femmes qui nous ont précédées.

Avec l’intime conviction de cueillir le fruit de leur travail à l’aune de leur juste reconnaissance.

Comme une invitation à croquer la grenade et à en (re)connaître la source.


Camille Brouillard


L’installation « Femmage botanique » (2022) de l’artiste visuelle Camille Chastang présentée à l’Espace culturel Alain-Poher à Ablon-sur-Seine s’inscrit dans la programmation hors-les-murs de l’Ecole et Espace d'art contemporain Camille Lambert déployée dans le cadre de la Nuit blanche 2022 placée sous le thème du « Jardin des délices ». Elle est visible du 1er au 22 octobre 2022.


Propriété de l’artiste © Laurent Ardhuin

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