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COURBER LES LIGNES (DROITES)

Camille Chastang, 2021

Formée en Design Textile aux Arts Appliqués de Paris et diplômée de l’École Nationale Supérieure d'Art Villa Arson en 2020, Camille Chastang est avant tout dessinatrice.

À partir des lignes, elle crée un univers propre (alliant sérigraphie, céramique, textile) et nous plonge dans un espace visuel total aux motifs « naturels » qu’elle puise dans le monde végétal et animal.


Peut-on vraiment qualifier ces motifs de « naturels » ?

L’œuvre de Camille Chastang montre bien que la « nature » est toujours déjà modelée et construite par l’homme - avec un petit « h » - qui en a formé les représentations et ordonnancé la connaissance. Pour toucher le naturel, il faut alors défaire les codes et l’ordre imposés pour oser approcher l’imperfection de la forme naturelle et sa générosité même.


Etymologiquement, l’éco-logie est une science. La nature est spontanéité.

La science est droite, la nature est courbe.

En s’emparant des motifs botaniques dits naturels – tels qu’ils ont été historiquement dessinés par les « grands hommes de science »[1] qui ont dévalorisé jusqu’à invisibiliser le travail des artistes femmes botanistes qui en étaient les autrices – Camille Chastang rend visible et revendique le féminin. Quel autre motif choisir que celui de la fleur et ainsi rejouer les codes de la représentation féminine ?


A partir de la constitution d’une banque d’images botaniques réalisées par des femmes, l’artiste s’approprie les codes et déplace la façon dont notre regard a été formé pour regarder la fleur et souvent la réduire. L’enjeu est de déconstruire la hiérarchie des techniques (le dessin vaudrait davantage que le croquis ?), des disciplines (la science l’emporterait sur l’esthétique ?), des pratiques (les arts plastiques vaudraient davantage que les arts dits décoratifs ?) et la hiérarchie des formes (la rigidité supposée masculine l’emporterait sur la souplesse supposée féminine ?) pour déconstruire la hiérarchie des genres.

Se confrontent alors deux logiques contradictoires : pourquoi s’approprier le travail des artistes femmes et en même temps s’attacher à le dévaloriser ? La création des artistes femmes n’est peut-être pas si « ornementale » et superflue que cela. Dans le cas inverse, nul besoin de l’étouffer. La création féminine ne fait pas partie du décor, au contraire. Et pour le revendiquer, le décor devient central dans l’œuvre de Camille Chastang.

Les normes s’en trouvent inversées.


À ceux qui verraient dans l’œuvre de Camille Chastang un art floral typiquement féminin voire mièvre, l’artiste répond l’ambiguïté sensuelle et sexuelle du motif pour déstabiliser :

une femme prend plaisir à dessiner une fleur,

une femme prend plaisir à dessiner une vulve,

une femme prend plaisir à dessiner une femme.

Équation faite, la norme hétérosexuelle est renversée. Le regardeur perturbé.


Le dessin est souple, humide, sensuel. La fleur que représente Camille Chastang n’entend pas revêtir le caractère précis et académique de la représentation scientifique mais bien la sensualité et la spontanéité de la nature et de la création elles-mêmes. L’apparente régularité du motif est en réalité imparfaite, non-rectiligne. Elle est le reflet de la générosité et de l’unicité de chaque geste émancipateur de l’artiste.


Le « safe space » que crée alors Camille Chastang dans ses installations est un espace visuel total dans lequel on entre sans hiérarchie choisissant librement de prêter l’oreille aux indices et lectures parsemées çà et là par l’artiste pour appréhender réellement la fleur et le motif naturel.


Dessiner la nature, c’est tracer les lignes d’une sensation.

Refuser qu’elles soient droites.

Les vouloir spontanées.

[1] expression relevée par l’artiste au sein du résumé d’un ouvrage de botanique ne faisant mention que d’ « grands hommes de science » alors même que la couverture est la reproduction d’une œuvre de l’artiste et naturalise Maria Sibylla Merian.


Camille Brouillard



Pour Polysème Magazine, numéro « Nature et Ecologie », 2022



Wall Drawing, vue d'atelier, peinture et encre de Chine sur papier peint mural, dimensions variables, 2021

© Camille Chastang


Vue d'exposition "Construire sa prétendue", Villa Arson, 16.10.21 – 30.12.21 © JC LETT


Femmage aux sœurs Dietzsch (Grenade ouverte), encre colorée sur papier, 150x90cm, 2021 © JC LETT



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