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ENTREZ DANS LA RONDE

Suzanne Husky, Symbol System Cannot Just Be Rejected They Have to Be Replaced, 2019

© Constellations, vue de l’exposition « Narcisse ou la floraison des mondes », Frac Nouvelle-Aquitaine, MECA, Bordeaux, du 7 décembre 2019 au 21 mars 2020

L’œuvre de Suzanne Husky est une invitation à entrer dans la ronde. Quatre piliers de bois, chacun gravé du nom des quatre éléments – eau, feu, air, terre – forment un cercle et son reliés entre eux par des éléments de céramique qui constituent le corps d’un serpent dont la tête se mord la queue, créant un cercle, un cycle sans fin. Non pas que les choses tournent en rond – à moins peut-être notre système actuel que l’artiste ne veut pas seulement « rejeter » mais « remplacer » d’après le titre de l’œuvre. Ici le cercle est vertueux.

« Le cercle est un lieu pour s’aimer, s’honorer ». L’installation est une invitation à entrer dans la danse. Impossible de résister à l’appel et de ne pas pénétrer dans l’espace du cercle, de tenter de le déchiffrer et de célébrer cette installation pleine de couleur. L’œuvre est une invitation à ressentir la filiation. Le cercle, à l’image d'une cérémonie autour du feu, fait directement référence aux rituels primitifs à l’origine de la fédération de toute communauté. Le cercle fait appel à notre instinct, à notre « psyché », à la « femme sauvage » – à l’être sauvage – qui veille en nous, qui nous relie à nos ancêtres et que propose d’écouter Clarissa Pinkola Estés grâce aux mythes fondateurs de toute culture dans son livre Femmes qui courent avec les loups, Histoire et mythes de l’archétype de la femme sauvage (1995).

L'usage de matériaux naturels – bois, pierre – pour représenter la biodiversité fait directement référence aux premières manifestations artistiques préhistoriques et nous inscrit dans leur filiation. Comme au milieu de menhirs préhistoriques, nous sommes dans le cercle, protégés du monde extérieur, à l’écoute des générations passées et tournés vers la transmission aux générations futures. Chacun est invité à déposer sa pierre et à témoigner, à rendre hommage. Comme des amulettes, les céramiques déposées aux pieds des piliers sont des symboles, des valeurs fondatrices. Elles nous protègent.

Il faut être pleinement à l’écoute de ces amulettes et des symboles que l’œuvre donne à déchiffrer. Un vrai travail d’attention et de lecture commence. L’œuvre pose les questions. « Quel ancêtre veux-tu être ? ». L’enjeu est de proposer un nouveau système de valeurs, de sens. Ce qui ne pas peut être « rejected » (« rejeté »), ce sont les forces et diversités de la nature ici symbolisées par les éléments naturels - la faune, la flore, l’arc-en-ciel, le feu, les étoiles - mais aussi par des principes proprement humains comme la justice. L’œuvre donne des pistes en proposant un langage bien à elle, constitué de références et de symboles. Un rappel des extraordinaires pouvoir et capacité du langage à créer le monde en le nommant et en l’organisant.

Ici, l’œuvre rappelle qu’être humain c’est avant tout être un corps au sein de la nature et du cosmos. C’est faire partie du feu « sacré » de la vie. C’est entretenir le lien mystique à la nature qui constitue structurellement toute vie sans égard pour l’époque, l’aire géographique, la société dans lequel il évolue. Le système doit être « replaced » (« remplacé ») pour refonder notre rapport au monde, sacraliser le lien étroit que nous entretenons avec lui. Non pas pour l’isoler de nous en en faisant une figure divine indépendante qu’il nous faudrait craindre, mais pour le célébrer, l’habiter et le vivre pleinement. Comme une partie d’un tout. Et si on entrait dans la ronde ?

Suzanne Husky, Symbol System Cannot Just Be Rejected They Have to Be Replaced, 2019

Installation, dimensions variables

Courtesy de l’artiste

Vue à l'exposition « Narcisse ou la floraison des mondes », Frac Nouvelle-Aquitaine, MECA, Bordeaux, du 7 décembre 2019 au 21 mars 2020

Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Histoire et mythes de l’archétype de la femme sauvage, Grasset, 1995

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